Pour qu'un jour... Quelqu'un ...

Synopsis :

A quoi pensait la vieille dame lorsqu’elle se décida à acheter ce beau cahier vert d’écolier.
Sans doute pas à ce cataclysme silencieux qu’elle produirait prés d’un demi-siècle plus tard.
Car, si longtemps après, en sortant de l’hôpital, Catherine sa petite fille garda le silence.
Sûr, pensa-t-elle, que les médecins ne la croiraient jamais.
C’était donc à elle que reviendrait cette obligation, puisque c’est elle que l’homme avait désignée.
Mais comment rétablir ce qui, depuis tant d’années, n’avait jamais été transmis ?
Désormais cette histoire ne pouvait plus rester dans le secret.
Au cœur de ce roman la transmission, de génération en génération, de l’histoire familiale.

Le mot de l'Auteur :

Pourquoi, si souvent, faut-il que quelqu’un, dans les familles, porte pour les autres.
Il y a de ces choses banales.
De celles que l’on ne perçoit pas. Le temps est passé et avec lui la parole s’est arrêtée.
Dans les familles, ce n’est pas la méconnaissance qui fera le secret mais plutôt les mots qu’on ne trouve pas.
Pour dire.
Et ainsi stopper ou permettre la transmission de génération en génération.
Le cycle des petits malheurs et des grandes souffrances silencieuses est en route. Il pourrait se poursuivre longtemps.
Est-ce cela que la vieille dame a voulu vaincre ?
Ne pas laisser disparaître avec elle. Ou peut-être simplement mettre le mot fin sur sa propre histoire. Pour que celles des autres puissent se développer
Voici l’histoire de trois générations.
Les silences installent les rancœurs et les drames quelques fois. Jusqu’au jour ou quelqu’un refuse la fatalité. Jusqu’au jour ou quelqu’un décide de laisser une trace.
Pour refuser les chemins tracés d’avance.
Sans doute est-ce pour cela que la grand-mère s’est mise en tête d’aller acheter un cahier.

Lire un extrait :

Sûr que les médecins ne la croiraient jamais. Alors comment commencer cette histoire. Comment dire, pour qu’un jour quelque chose en reste. Pour que tout ne soit pas perdu.
Comme lui, qui part aujourd’hui.
Et elle, Catherine, sa fille que faisait-elle là ?
Auprès de celui qui au fil du temps était devenu un inconnu. Elle compta. Cela faisait si longtemps qu’elle ne l’avait plus revu. Onze longues années.
Des années pendant lesquelles, elle eut peu de nouvelles, et si peu d’informations sur la famille. Et de lui, on en parlait encore moins.

Et puis ce coup de fil qu’elle reçut. L’hôpital ne savait qui contacter.
Les explications demeuraient confuses. Elle ne cherchait pas vraiment à comprendre. Il était sorti de leur vie, et voilà qu’il y faisait de nouveau effraction.
Une infirmière l’avait appelée. Elle comprit la gravité de la situation. Et elle vint. Elle se surprenait de l’immédiateté de sa réaction. Non cela n’allait pas de soi.
Elle ne chercha pas. Pourquoi elle. Comment avait-on eu ses coordonnées. Elle laissa ces questions de côté.
On lui dit l’urgence, et elle se précipita pour le rejoindre.
Un médecin et sans doute quelques membres de son équipe l’accueillirent.
C’était en effet extrêmement préoccupant. Depuis plusieurs jours. Le coma profond. Avait-elle bien entendu. Il lui semblait, ils disaient, irréversible. Plus la moindre communication. Aucun signe. De là sans doute déduisait-on la gravité de son état.
La seule qu’ils avaient retrouvée. Elle poussa donc la porte de cette chambre. Blanche. Un lit et des appareils. Du silence d’abord, puis ce bruissement. Régulier. La machine et des tubes. Dans tous les sens.
Et au bout, lui. Vieilli, une barbe de quelques jours mais pas seulement. Elle vérifia de nouveau. Ca faisait bien onze ans. Mais il n’était plus temps de revenir là-dessus. Pas maintenant et pas ici.
Elle s’approcha avec appréhension. Quelques pas vers le lit.


C’était les pas d’une enfant qui craint de se faire gronder.
Encore un, et la voilà tout prés.
Lui sur ce lit d’hôpital.
Elle ne sait plus si elle pensa sur ce lit de mort.
Les premières minutes demeureraient énigmatiques. Que se passa-t-il. Elle ne distinguait pas. Le trouble la traversait. Un reste d’apitoiement.
Sans doute.
Figée, devant ce lit où il se trouvait, elle observait cet habit, ni drap ni blouse.
Ce linge cachait mal sa peau flétrie entre jaune et blanc. Ces couleurs que la température de la chambre ne réchauffait guère. Et ces ventouses qui le reliaient à la machine.
Elle restait debout. Elle n’avait rien à faire.
Quand cela se produisit.
Elle y repensait. Le plus étonnant, c’est qu’elle n’en fût pas surprise.
Juste un léger tressaillement.
Avec ce qu’on lui annonça à son arrivée. Cette chose ne se pouvait.
C’est en y repensant que la frayeur s’insinua. Elle s’y habituerait. Et cette peur disparaitrait.
Oui cela se passa.
Non elle n’en dirait rien. Car comment expliquer. Et qui pourrait la croire.
Elle resta.
En partant, elle confirma aux infirmières, oui je reviendrai demain.
Elle arriva chez elle.
Sur la route elle lui avait téléphoné. Son amant. Ils se retrouvaient irrégulièrement, mais avec constance. Un ami plus que tout.
Oui bien sûr qu’il viendrait
Alors, elle prit le temps de respirer, calmement. Elle marchait lentement pour le rejoindre. Elle traversa tranquillement le grand parc de la ville, observa l’insouciance des baisers d’adolescents et rentra chez elle.
Elle poussa la porte qu’il laissa entrouverte.
Il était bien là.
Elle lui prit la main, l’entraina vers sa chambre et lui fit l’amour.


Elle se réveilla d’une longue et lourde nuit de sommeil. Elle en tira peu de repos. Elle prépara beaucoup de café bien fort. Et s’en alla garnir la petite table ronde de tout ce que leurs appétits réclamaient.
Il s’installa face à elle, la regardant fixement. Il savait son besoin de silence. Plus qu’amoureux, ils étaient complices.
Ils souriaient aux bruits que leurs mâchoires produisaient sur ces grandes tartines grillées recouvertes de confiture.
Merci dit-elle
- Non pas ca.
- Excuse-moi.
- Ton sourire suffisait amplement même si ce n’était que pour le bruit de mes mandibules de primates.
Un rire franc éveilla complètement son visage. Alors seulement elle se retira dans la salle de bain.
C’était une belle jeune femme à la silhouette longue et fine comme ses cheveux d’un brun châtain et soyeux. Elle aimait son corps que les hommes aimaient.
Elle revint de sa toilette. Il l’observait. Et elle comprit dans son regard combien elle était belle. Elle pensa que peu d’hommes savaient dire avec les yeux.
Elle enfila une veste légère. Il posa simplement une main sur son épaule.
- Tu prends soin de toi.
Elle sourit.
Elle ouvrit la porte et quitta son domicile.
Elle referait le même chemin que la veille, en sens inverse.
Elle hésitait et pensait qu’elle pourrait prendre quelques jours. Son métier le lui permettait et son employeur y consentirait sans difficulté.
Elle empruntait rarement l’ascenseur. Elle descendait avec plaisir ces six étages qui, de son appartement sous les toits, la conduisaient vers l’extérieur. Oui, sans doute qu’elle téléphonerait. Il n’y avait pas d’urgence à décider.
Par contre qu’allait-elle faire de ce qui lui arrivait depuis la veille. Personne n’était là. Ni l’une ni l’autre de celles à qui elle pensait intensément ne répondraient. Pourtant au départ, elle seule échappa à cette histoire.


Du moins, elle s’en persuadait.
Pourquoi alors, lui reviendrait-il de la conclure.
A elle.
Elle goutait intensément cet air frais du matin en empruntant chaque jour ce chemin. Elle gardait cette habitude alors que son programme et ses horaires se trouvaient bouleversés.
Elle fût pourtant surprise de se retrouver sur cette allée dont elle connaissait parfaitement la configuration et les détails. Malgré ce chamboulement, comme tous les matins, elle pénétra dans le parc.
Elle savait les endroits où retrouver ces tout jeunes couples formés du jour ou d’un peu plus et qui se promettaient tant.
Elle laissait à ces jeunes gens tous les plaisirs de leurs découvertes, pendant qu’elle nourrissait une joie intérieure que ces élans produisaient.
Elle observait la vie qui se trouvait là.
Puis elle repartait. Elle aimait cette ville où elle se laissait aller à la flânerie.
Puis elle rejoignait son travail. Ce matin, elle ne s’y rendrait pas. Elle s’étonnait de ne rien changer à ses habitudes alors que ce matin serait tellement différent. Elle téléphonerait tout à l’heure. D’ailleurs elle pouvait, ce qu’elle réalisait souvent, poursuivre chez elle le dossier qui l’occupait ces jours-ci.
Elle ne changerait rien à son rythme matinal. Cette promenade et ces pensées nourrissaient cette agréable divagation dont elle cultivait la richesse. Si le soleil s’invitait, elle prendrait place sur une terrasse au hasard de son chemin. Elle commanderait un café, encore un, et se laisserait envahir par la chaleur qu’elle recherchait tant.
Elle utilisa son téléphone. L’affaire fût réglée. Son travail n’en souffrirait pas. De cela personne n’en doutait tant ce qu’elle remettrait serait précis, pertinent et au final apprécié et validé.
Pour le reste, qui devenait ces jours-ci l’essentiel, elle consacrerait les après midi. D’ailleurs c’est ce qu’on lui avait conseillé.


Les infirmières, sans en faire une obligation, laissèrent entendre que l’activité matinale du service n’était pas propice aux visites. Sauf si vraiment vous ne pouvez pas faire autrement. Mais elle pouvait faire autrement.
Alors seulement elle se prit à penser à ce bouleversement qui se présentait. A ce qui lui arrivait, sans qu’elle n’ait rien demandé. Toute cette histoire, tellement lointaine. Mais au fond, elle en conviendrait vite, rien ne s’était jamais vraiment éloigné.
Les pages furent simplement tournées. Depuis longtemps.
Et depuis hier, elle en était convaincu, ce n’était pas une nouvelle histoire qui se présentait.
La même s’affichait, qu’il faudrait bien conclure.


A la deuxième visite, elle se dirigea directement vers lui et se tint contre son lit. Comme la veille.
Elle était calme et tranquille, revêtue d’une blouse de service. Elle attendait.
Comme il ne se décidait pas, elle resta silencieuse.
Comme la veille.
Subsistait-il quelque espoir. Les médecins n’en laissèrent aucun.
Mais la question n’était vraiment pas de mise.
Quand de nouveau cela se produisit, elle ne fut pas surprise. C’était sans doute ce qui la faisait revenir.
Elle prendrait le temps qu’il faudrait. Quoiqu’il en soit, une chose était certaine, personne ne viendrait les déranger. Ni ici, ni ailleurs.
Il serait temps plus tard de reconstruire ces événements. Sur l’instant il fallait se trouver là.
Elle.
La seule au fond qui pensait échapper à cette histoire. Elle, qui, à l’époque s’éloigna suffisamment, sans partir vraiment.
Elle restait là sachant que ce serait sa part qui commençait. Celle où il lui léguait l’épilogue qu’elle conduirait. Si elle le voulait bien. Car, jusque là, elle avait toujours décidé de sa vie. Elle en payait suffisamment le prix pour en tirer les profits qu’elle estimait légitimes. Et refuser ce que le destin, dans cette famille, imposait toujours.
Pour l’instant elle restait.
Patiente, attentive, elle ne laisserait rien échapper de ce que plus tard elle transmettrait.
Néanmoins elle se trouvait dans cette chambre. Sans y être totalement. Son éternel instinct l’avait toujours protégé. Et encore une fois son intuition la conduisait à tenir cette distance. Même au pied du lit. Surtout en ces instants. Et qui plus est auprès de lui. Une vraie présence certes. Mais pas de celle qui l’aspirerait, l’annihilant, comme les autres.
Elle restait attentive. Il le fallait si elle décidait d’en faire quelque chose. Pourrait-elle, malgré son habituel sens de sa liberté, s’y soustraire. Voilà qu’un reste de culpabilité pointait. Il fallait donc l’accomplir. Pour les autres.


Ses mains quelques fois se risquaient au rebord du lit. Mais à peine, pas question de s’aventurer au-delà.
Elle quitta la chambre.
Dans les couloirs, elle confirma aux infirmières,
- oui je reviendrais demain.
Comme la veille.


La première à s’imposer, ce fut la grand-mère. Elle l’avait peu connu. Suffisamment néanmoins pour en garder quelques images plus ou moins précises. Ce qu’on disait d’elle dans la famille dressait un portrait détestable. Une femme autoritaire, dépourvue du moindre sentiment. Ce n’est pas pour rien insinuait-on que son mari était parti si tôt. On chargeait sur les épaules de cette vielle dame tous les malheurs de la famille.
Enfant, sa mémoire sédimentait ces conversations qui noircissaient la réputation de la vieille dame. Elle se souvenait que tout, sur elle, se concluait par les critiques les plus acerbes. Et cela dédouanait tous, de tout. Cette grand-mère, elle ne l’avait pas suffisamment connue pour s’en faire une idée suffisamment personnelle. La réputation admise par toute la famille prévalait.
Désormais avec les années et la rigueur que son travail imposait, elle s’interrogeait. Les souvenirs révélaient peu. Ce qui caractérisait l’histoire familiale, résidait dans les rares traces chichement rapportées. On se racontait et transmettait avec parcimonie. Alors on laissait grand ouvert la place aux projections des uns et des autres. Chacun nourrissait les préjugés qui renforçaient la réputation de la vieille dame. Ainsi la grande absente se trouvait en permanence au milieu de la famille dés lors que celle-ci se réunissait. Cela tenait lieu de ciment pour les membres de ce groupe qui n’en était pas vraiment un.
Catherine ne pensait pas souvent à cette aïeule. Mais on ne pouvait y échapper lors des réunions familiales.
Et là son souvenir s’imposait à elle.
La probable et proche mort de son père rendait plus présente encore la vieille dame. Comme une évidence. Un reflexe quasi génétique qui raccrochait les maillons de leur histoire.
Elle creusa parmi les souvenirs épars. Dans une mémoire qui lui restait fidèle et précise. Elle cherchait quelques belles images de livres. Se retrouver prés d’une mamie qui lui tartinait de belles tranches de pain et câlinait son adorable petite fille.
Elle résistait à l’irruption de cette réputation estampillée par tous ses proches.
Pourtant, ces après-midi gâteaux existèrent.
Elle rejetait la vision noire qu’on dépeignait de sa grand-mère.


A bien y repenser, elle retrouvait surtout le silence de cette femme. Bien plus pensa-t-elle. Le renfermement.
On en parlait tellement et on lui en faisait tant porter à cette dame.
C’est ainsi, qu’au milieu du parc et au gré de baisers tendres ou fougueux des jeunes amoureux, l’existence de la grand-mère devint une question pour sa petite fille.
Au fond qui connaissait vraiment la mamie.