Ciao Pa      ou l'enfant qui courait.

Synopsis :

C’est de l’une de ces cours ouvertes vers le beau ciel de la méditerranée que tout a commencé.
Etait-ce réel ou l’enfant eut-il besoin de reconstruire cette histoire. C’est que la douleur de la mort et de l’arrachement à ce pays, que l’enfance magnifie, doit se résoudre en cet arrangement avec la réalité. C’est ainsi que l’enfant avance. De son coin de paradis à cette jungle, il se perd entre cancre bien caché et excellence pour le regard des autres.
Un demi-siècle où cette histoire est bousculée par tant d’autres. Celle de cette femme qui lui demande de défendre ce père qui lui refusa d’être enfant, celle de cet enfant autiste que seul les couleurs des papillons ramènent quelquefois à la vie, celle de Fernand et de ces chiffres verts se succédant sur son poignet décharné et celle de son maître aux cheveux blancs l’invitant pour un dernier verre avant que de quitter la vie.
Ces années pour s’éloigner de la peur et courir résolument vers la vie. C’est que l’enfant aura toujours cette étoile tout là-haut. Zeus en effet avait gardé une place de choix pour Phillipidès, ce combattant qui alla annoncer à Athènes la victoire de Marathon. Et Phillipidès veillera longtemps à cet enfant dont on dit qu’il courut avant que de marcher.

Le mot de l'Auteur :

Au fond, il peut y avoir deux façons de raconter cette histoire.
Il y a d’une part un enfant et la nécessité pour lui d’enjoliver les histoires de son quotidien pour y faire face.
Il y a aussi en permanence cet hymne ou cette ode à la méditerranée et ses deux rives qui assemblent et séparent.
Mais ces deux lectures ne constituent qu’une seule et même trame de ce roman.
C’est celle d’un enfant que la vie réelle pourrait perdre. Car comment faire face quand tout semble s’effondrer et disparaître un jour de grisaille où le printemps ne viendra jamais.
A-t-il vraiment choisi cet enfant de s’évader en compagnie d’un magicien et d’un fou pour, étonnamment, construire son lien au monde.
Un monde si proche et si différent lorsqu’il passera d’un côté à l’autre de la mer, la grande Histoire venant bousculer la sienne.
Désormais plus rien ne sera comme avant.
Alors pour devenir un homme, l’enfant ira chercher les clés.
Les trouvera t-il dans la magie des chiffres et des mathématiques, ou bien dans la solitude de la course à pied et les combats de la compétition.
Ou bien se perdra t-il dans leurs dédales.
Dans sa vie réelle, celle du grand qu’il devient, il rencontrera Fernand revenu des camps mais qui n’en reviendra jamais.
Il y aura cette jeune femme qui n’aura jamais été enfant.
Et cette petite fille autiste et les papillons de sa vie.
Après tout c’est une histoire de tous les jours. De celle qui vous est arrivée à vous comme à moi.
C’est un jour où vous avez pensé que la terre allait s’arrêter de tourner.
Et pourtant elle poursuivra son chemin.
Alors qu’allez-vous faire.


Lire des extraits :
Mercredi matin 2 avril 1952.

L'enfant est dans la cour, c'est une cour méditerranéenne, c'est le cœur de sa maison. Bien plus tard il découvrira le mot patio qu'il maniera toujours avec quelques difficultés.
C'est une cour que l'enfance a rendu immense, quatre murs enserrent cet espace où il se trouve ce matin. Les murs que l'on recouvre un été sur deux d'une épaisse couche de chaux. Ce produit devenu si chic, si prisé, et que l'on dit aujourd'hui si beau.
Lui, ce qu'il retient, c'est que ça détruit les bêtes qui se baladent qui envahissent et qui sont insupportables. C'est également dans la cour l'été que l'on sortira les sommiers métalliques. Ceux que les punaises habitent. Il verra l'alcool à soixante degrés que l'on déverse et puis l'allumette enflammée que l'on projette avec des précautions et des peurs incertaines.
Les punaises paieraient là de leurs vies ce que nous avions enduré de démangeaison et de grattage depuis l'arrivée des grosses chaleurs. S'il pouvait aisément comprendre l'action mortelle du feu, l'enfant avait du mal à imaginer ce travail purificateur que l'on attribuait à la chaux. Pourtant deux images seraient destinées à l'y aider. On dira toujours la chaux vive, ce qui mettrait l'enfant dans une perplexité à jamais irrésolue, et en devoir d'imaginer ce que serait de la chaux morte. C'est bien plus tard qu'il apprendra que ça existe aussi. Cette chaux préparée le matin dans un grand tonneau et que l'on passait à grand coup de pinceau sur les murs. Il avait souvent entendu que dans ce liquide épais on pourrait faire cuire des œufs. Alors, si cette chaux vive pouvait produire la même action que le feu, sans doute qu'elle saurait aussi produire dans la profondeur des murs le travail que les flammes opéraient sur les literies.
Il y avait dans la cour un petit carré bâti d'une maçonnerie fragile et qui dessinait une jardinière. Mais il ne savait pas tous ces mots alors. Il en bâtirait plus tard et apprendrait les mots avec.
Ce qui est resté ce sont les quelques fleurs, toujours la même et unique variété qui accompagnerait les grandes et belles saisons à venir. Adulte, son attrait pour les géraniums, alors qu'il découvrira tant de belles autres fleurs, l'intriguera longtemps. Ces fleurs, comme la seule marque dérisoire d'un souci du beau.
Il y avait aussi un puits, non une citerne, il fallait distinguer, ici dans la cour l'on pouvait à certains moments rares de l'année tirer de l'eau douce. Pour le reste du temps il fallait aller à la fontaine.


Le soleil à son zénith chauffait et tannait nos peaux. Bien qu'aguerris à ces dards du mois d'août, les piqûres de l'astre qui écrasait notre navire commençaient à produire des brûlures contre lesquelles les passagers luttaient sans succès. L'embarquement de la veille, la nuit passée à observer le ciel et son obscurité déchirée par les étoiles avait porté son lot d'apaisement, de patience, presque de tranquillité, avant de voir. Là-bas. Il n'avait pu trouver le moindre sommeil. Les dauphins du matin avaient accompagné l'intense beauté du soleil levant. La féerie se trouvait à portée de main. Les yeux suffisaient. Il pensait à ces dernières heures écoulées. L'émotion et l'attente de la découverte. Du premier regard.
Il observait le monde sur ce bateau et devinait les mêmes impatiences. Quittant son entourage il revenait à la boule de feu qui poursuivait sereinement sa quotidienne naissance. Elle s'extrayait de la ligne d'horizon. D'un rouge flamboyant, elle progressait inéluctablement dans une émergence dont le silence de la mer disait l'extraordinaire beauté. Les dauphins bondissaient hors de l'eau avec grâce et complicité pour ce sublime cadeau de la nature. Respectueusement, les moteurs rappelaient leur présence avec discrétion. Le navire avançait. Nous nous rapprochions. Désormais, l'immobilité majestueuse du soleil nous disait combien il se trouvait ignorer notre temps. Nous lui courrions après.
Le regard des passagers s'accrochait au devant des flots que le bateau dévorait. La puissance des mécaniques s'éveillait, nous filions au devant. Je scrutais. Conscient de l'heure. Il en fallait vingt quatre pour passer d'une rive à l'autre de ce bassin. Il savait les côtes encore éloignées. Le chemin ne pouvait être raccourci. L'impatience de l'âge n'y ferait rien. Attendre en scrutant la mer, deviner un regard qui disait le même désir. Y être enfin.
Combien sur ce bateau, comme lui avec cet emportement mi contenu, mi exalté.
Cette envie de s'y trouver déjà, de voir et de ressentir et en même temps pas trop vite, prendre le temps de l'approche, de voir venir les choses et leurs surprises, la peur un peu aussi. Le départ est toujours si proche dans son esprit. Les taxis, les adieux et la chaleur. La foule, à quai et puis sur ce bateau. Tant de monde dans ce même voyage. Il rêve, fixe l'immensité. Que va-t-il trouver. Il y pense depuis si longtemps. Les premiers oiseaux viennent le sortir de ses songes. Il sait pourtant les côtes encore éloignées. Le cycle d'un jour complet n'est pas accompli. Son ventre réclame quelques nourritures. Mais il est ailleurs, comme toujours.
Mon beau bateau qui navigue sur l'eau, où vas-tu m'emporter. A quoi ressemblera ce rivage.
C'était hier, il y a dix ans.


Le lendemain du 13 septembre 490 avant J C.

Je m'appelle Phillipides. Nos Dieux m'ont choyé. Depuis que j'ai quitté nos terres, ils m'ont réservé une place près du mont Olympe, non loin d'eux.
Alors je vais vous raconter comment cette histoire s'est déroulée.
Du plus loin que je m'en rappelle j'entends ma mère si souvent répéter, " il s'est mis à courir avant que de marcher ". Elle disait cela à nos voisines. Elle faisait mine d'y mettre du reproche pensant stopper mon activité débordante et envahissante. Moi j'y voyais un brin de fierté qu'elle avait du mal à dissimuler. C'est vrai que courir fut en bas, sur terre, ma seconde nature. Peut-être même la première. En effet, les marches de nos troupes me diminuaient bien plus que le pas de course que j'ai toujours pratiqué sur nos terres ; dans nos vastes plaines ou sur nos montagnes arides. Et ceci du plus loin que je m'en souvienne est dans ma mémoire. Courir constitua mon premier jeu, plus encore ma première occupation. Mes frères comme mes amis tous pourtant plus âgés et plus grands que moi, n'ont jamais pu rivaliser avec mes talents de coureur.
Nos généraux ont toujours su mes qualités. Aussi ai-je plus souvent servi de messager que de combattant.
Miltiade notre chef vénéré m'a envoyé ces jours-ci quérir de l'aide à Sparte. Jamais parcours ne fut si long. J'ai accompli ma mission, et j'ai des heures durant couru d'Athènes jusque qu'aux terres du Péloponnèse. En retour j'ai rapporté à Miltiade le refus des Spartiates qui se devaient d'attendre la pleine ascension de la lune avant que de prendre les armes. C'est là leur croyance.
Mon corps porte encore les traces de ce long périple.
En face de nous siègent nos ennemis héréditaires les Perses. Ils sont aidés par les Mèdes qui sont venus leur prêter main forte. Darius 1er est leur chef. Les Perses de tout temps ont eu le goût de la destruction. Toujours, ils se donnent des chefs que l'expansion enivre et qui les poussent à saccager et tuer.
Ils ont débarqué dans nos contrées plus au nord d'Athènes. Ils sont là sur cette plaine que nous dominons depuis le mont Agriliki.
Nos ennemis ont débarqué depuis huit jours. Le silence qui ce matin arrive des terres basses est plus pesant que celui que nous supportions ces jours passés. Nous les savons bien plus nombreux que nos troupes. A la poussière que leurs mouvements soulèvent, sans nul doute qu'ils sont venus dix fois plus nombreux que nous. On les dit invincibles et leurs armes redoutables.